Au cours des prochaines années, des entreprises du monde entier prévoient de lancer des dizaines de milliers de satellites en orbite afin de fournir un accès mondial à l’internet à haut débit. Mais cet accès a un coût : il polluera le ciel et contaminera les observations astronomiques.
Existe-t-il donc un moyen d’y remédier ? Une équipe de chercheurs a modélisé les effets de ces satellites et exploré diverses stratégies d’atténuation. La réponse, semble-t-il, n’est pas facile.
L’essor des mégaconstellations
Sommaire
Starlink, OneWeb, Kuiper, SatNet – ce ne sont là que les prémices des mégaconstellations qui seront lancées en orbite terrestre au cours des prochaines années. Chacun d’entre eux fournira son propre réseau d’accès Internet mondial à haut débit.
L’augmentation du nombre de satellites en orbite est stupéfiante. Il y a actuellement plus de 3 300 satellites artificiels actifs en orbite terrestre, selon l’Union of Concerned Scientists, un groupe de défense de la science. Les scientifiques à l’origine de cette nouvelle recherche notent que la génération 1 du Starlink de SpaceX sera, à elle seule, composée de 11 926 satellites, et que la génération 2 en comptera 30 000 de plus. OneWeb, Kuiper d’Amazon et SatNet de la Chine, combinés, déploieront plus de 20 000 satellites.
Avant que ces méga-constellations ne commencent à être lancées en 2018, la plus grande constellation de satellites était celle des satellites de communication d’Iridium, qui ne comptait que 70 satellites.
Chaque satellite est une source de contamination. Les corps des satellites eux-mêmes, ainsi que leurs vastes panneaux solaires, reflètent la lumière du soleil. Pour un astronome qui utilise les plus grands télescopes de la Terre pour capter les objets les plus ténus du ciel, les mégaconstellations ne sont pas une aubaine, mais une nuisance. Lorsqu’une constellation de satellites traverse le champ de vision d’un télescope, ce n’est pas une seule traînée mais plusieurs qui peuvent potentiellement faire des ravages dans les observations astronomiques.
Les défenseurs des mégaconstellations ont fait valoir que les hautes altitudes des satellites réduiront leur impact sur l’astronomie et que seuls certains types de programmes d’observation seront menacés.
Les chercheurs ont donc décidé d’utiliser les données disponibles pour prédire l’impact de ces mégaconstellations sur les observations astronomiques.
Modélisation de l’impact
Il est impossible de savoir à quel point le ciel va se dégrader tant que tous les satellites ne sont pas en service et que les astronomes n’essaient pas de faire de l’astronomie. Mais à ce moment-là, il pourrait être trop tard. En attendant, une équipe d’astronomes a tenté de modéliser l’impact des mégaconstellations sur l’astronomie moderne.
Les astronomes ont fait leur meilleure estimation, sur la base des informations publiques disponibles, des configurations orbitales des futures mégaconstellations. Ils ont ensuite modélisé la taille et la luminosité de chaque satellite, qui dépendent fortement de l’angle entre le satellite et le soleil vu de la Terre. Ils ont ensuite intégré ces modèles dans des observations simulées avec différents types d’instruments astronomiques, tels que des télescopes géants à grand champ et des spectrographes à haute résolution.
L’équipe a constaté que presque tous les aspects de l’astronomie moderne seront affectés d’une manière ou d’une autre, car les satellites seront généralement assez brillants pour être vus par des télescopes professionnels, même de taille moyenne.
Cependant, certains programmes d’observation s’en sortiront beaucoup moins bien que d’autres. En fonction du télescope, de la période de l’année et du programme d’observation, un cycle scientifique typique observe entre 0,01 et 20 traînées de satellites à chaque exposition. Les instruments à champ étroit, qui ne prennent des images que d’une petite partie du ciel à la fois, seront les moins touchés, car il est peu probable qu’un satellite traverse leur champ de vision au cours d’une observation particulière, ont constaté les astronomes.
En revanche, les télescopes à grand champ, comme l’observatoire Vera C. Rubin, seront confrontés à de nombreuses difficultés – au lever et au coucher du soleil, par exemple – et l’observatoire pourrait perdre jusqu’à la moitié de chaque image à cause des traînées des satellites qui interfèrent, ont écrit les astronomes dans un article récemment publié sur le serveur de préimpression arXiv.
Les observations effectuées au cours des premières et dernières heures de la nuit seront les plus touchées, car l’angle des satellites par rapport au sol les fera apparaître comme les plus brillants et les plus visibles, selon l’équipe.
La spectroscopie sera également affectée. Même si les instruments spectroscopiques à basse et moyenne résolution, qui sont fixés sur les télescopes du monde entier et divisent la lumière en longueurs d’onde spécifiques qu’elle contient, seront moins affectés que les instruments qui produisent des images. Mais le niveau de contamination sera beaucoup plus élevé pour les instruments spectroscopiques, la pollution provenant des satellites donnant un signal de taille à peu près équivalente à celle des données scientifiques ciblées.
Sauver l’astronomie
L’astronomie est une science de précision dans laquelle chaque image compte. Les parties polluées des images sont inutiles ; elles doivent être jetées. Dans de nombreux cas, des informations utiles peuvent encore être glanées dans les zones non contaminées des images. Mais dans d’autres, comme la détection d’exoplanètes, l’image entière doit être jetée. Cela pourrait coûter à la communauté astronomique des millions de dollars en temps et en puissance de traitement perdus. Et ce n’est que le début de l’ère de la mégaconstellation ; d’autres satellites pourraient être en route.
Alors, que pouvons-nous faire ?
La meilleure stratégie d’atténuation consiste à réduire la surface visible des satellites et de leurs panneaux solaires, comme le fait le programme Starlink VisorSat de SpaceX pour assombrir ses satellites, ont constaté les chercheurs. Les astronomes peuvent également tenter de programmer leurs observations autour des trajectoires des constellations, soit en ne prenant pas d’images lorsque les satellites sont en vue, soit en pointant dans des directions légèrement différentes. Mais cette approche nécessite une énorme coordination, car les entreprises modifient fréquemment les orbites de leurs satellites.
Une autre stratégie d’atténuation consiste à supprimer ultérieurement les traces des satellites sur les images, mais ce processus n’est pas propre. Et cela ne fonctionne pas pour les spectromètres ; comme ils ne prennent pas de photos, il est difficile de dire si un spectre a été contaminé par une traînée de satellite.
En fin de compte, les fabricants de mégaconstellations devront entretenir un dialogue continu avec la communauté astronomique. L’accès à l’Internet à haut débit ne doit pas nécessairement se faire au détriment d’une science précieuse.
Romain Belair